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HOCINE ABDERRAHIM

Jacques Vergès, Lettre ouverte à des amis algériens devenus tortionnaires, Paris 1993

Le surlendemain de mon arrestation, ils m’ont conduit chez le responsable du centre, le commissaire K. A côté de lui se tenait un cameraman.

– Qu’est-ce que tu sais de l’affaire de l’aéroport ? m’a demandé le commissaire. je lui ai répondu qu’à part ce que j’avais lu dans les journaux et vu à la télévision, je ne savais rien. J’ai ajouté, à l’instar de ce qu’avait déclaré Belaid Abdesselam, alors chef du gouvernement, que l’étranger était sans doute derrière cette opération.

Voyant que le cameraman enregistrait ma déclaration, le commissaire lui a lancé : « Pourquoi filmes-tu ? » De toute évidence, il n’était pas satisfait de mes réponses. Il a ordonné au cameraman de cesser d’enregistrer et a commencé à me menacer d’employer d’autres moyens pour me faire parler. J’ai juré que j’avais dit la stricte vérité.

– D’ailleurs, vous avez certainement entrepris une enquête sur cette affaire, ai-je ajouté, je suis entre vos mains. Si vous êtes en possession de la moindre preuve, ou s’il y a eu témoignage contre moi, je suis prêt à une confrontation!

Il m’a alors dit :

– je suis sûr que tu n’as pas ordonné cette opération et que tu n’y es mêlé ni de près ni de loin, mais je ne te crois pas quand tu me dis que tu ne sais pas qui est derrière l’affaire.

Le premier interrogatoire s’est arrêté là. Le vendredi, après la prière d’ « El Asr dans le même bureau, le directeur général de la Sûreté nationale m’a posé la même question. je lui ai répété ce que j’avais dit au commissaire K. Mes propos ne furent ni filmés ni enregistrés. De toute évidence, ils ne correspondaient pas au scénario qu’ils avaient préparé. Le directeur général ne me répondit pas et je fus ramené dans ma cellule.

Le lendemain de cette entrevue, un officier nommé T. est venu avec un groupe de tortionnaires et m’a dit :

– C’est terminé les discussions philosophiques avec les responsables ! Maintenant, c’est avec nous que tu vas parler. Nous sommes des militaires et nous nous fichons de Dieu, de la politique et de la religion. Si tu n’avoues pas, nous allons te torturer. S’il faut te tuer, nous le ferons. Tu ne seras ni le premier ni le dernier; et nous allons commencer par t’arracher les testicules, tu ne pourras plus rien faire avec les femmes !

Ils me traînèrent à la chambre de tortures. Ils me ligotèrent avec des cordes, recouvrirent ma tête et me firent ingurgiter de l’eau à travers un chiffon enfoncé dans ma bouche. Comme je continuais à clamer mon innocence, l’officier m’a dit :

– Meurs comme un chien! Puisque ça ne te suffit pas, nous allons passer à l’électricité.

Et d’ajouter à l’intention de son collègue

– Fais fonctionner les 380 volts !

J’ai vu la mort devant moi. Après d’insupportables souffrances, j’ai inventé un scénario pour l’aéroport; j’ai donné des noms de frères innocents. je voulais qu’on cesse de me torturer. Une heure après, on me délivra de mes liens et on me présenta au commissaire K. Celui-ci me demanda de lui répéter ce que j’avais dit sous la torture et ordonna au cameraman de me filmer.

Il me dit :

– Tu mens 1 Ce que tu dis est incohérent, et me fit reconduire à ma cellule.

Un ou deux jours plus tard, ils sont revenus pour me torturer. Ils m’ont frappé sur la tête avec un instrument semblable à une chignole. J’étais en si mauvais état qu’ils m’emmenèrent à l’hôpital Ain-Naâdja où on me soigna dans des conditions atroces, sans m’ôter les menottes. Le médecin eut beaucoup de mal à recoudre mes blessures.

Deux jours après, l’officier est venu et m’a conduit dans le ‘bureau du commissaire 1. Tous deux reprirent l’interrogatoire sur l’affaire de l’aéroport. Comme je répétais que j ‘ étais innocent, l’officier T. m’a frappé à la tête. Les points de suture n’ont pas tenu et le sang s’est mis à couler en abondance. J’ai commencé à crier et à demander du secours.

Reconduit encore une fois à l’hôpital Ain Naâdja et soigné toujours dans les mêmes conditions, j’ai passé les deux jours enchaîné à un lit dans une chambre du centre de torture.

Ensuite la torture reprit, avec le procédé de l’eau et du chiffon. je leur ai inventé une autre histoire, tout aussi imaginaire que la première. Quand ils m’ont demandé la couleur de la valise dans laquelle était la bombe, une fois, je leur dis qu’elle était verte, une autre fois qu’elle était rouge. A chaque fois, ils me rouaient de coups.

Le dernier vendredi de notre présence au centre, à 13 heures précises, on me fit entrer dans le bureau du commissaire K. Celui-ci me demanda encore une fois qui était derrière l’opération. Je lui dis :

– je suis innocent. Vous êtes en train de me torturer, c’est injuste !

Il s’est tu et a ordonné qu’on me fasse sortir.

Le dimanche suivant, je fus entouré par une dizaine de policiers. Ils me couvrirent la tête jusqu’au nez, me jetèrent sur une table et me ligotèrent. Ils me firent boire de l’eau de force. je me suis vu mourir. je me suis surpris à citer des noms de personnes qui n’avaient rien à voir avec l’affaire, tel le nom de Rachid Hachaichi, le commandant de bord. J’ai fait mention de l’heure et de l’endroit de l’appel téléphonique concernant la bombe.

Ils m’ont dit:

– Nous n’avons pas besoin de ces informations ; tu les a lues dans les journaux. Nous voulons des noms, des noms !

C’est alors que j’ai inventé une troisième histoire.

Après quoi, ils m’emmenèrent en compagnie de quelques frères à la caserne de la Sécurité militaire d’Hydra. Face à un officier – un commandant, à ce qu’on dit -, je dus répéter la dernière version inventée sous la torture. J’ai appris plus tard qu’on me filmait à mon insu.

A notre retour au centre de tortures de Ben Aknoun, on m’a donné un « qamis » et une « Chéchia » neufs – les miens étaient pleins de sang. Le commissaire 1. m’a donné une déclaration préparée et m’a ordonné, sous peine de me renvoyer à la torture, de la lire devant la caméra. je lui ai fait remarquer qu’elle contenait des propos que je n’avais même pas tenus sous la torture, tels ceux mettant en cause le Soudan, l’Iran et les « Chouyoukhs ».

De même, il fallait que je demande pardon au peuple pour apparaître comme le responsable de l’affaire de l’aéroport. Grâce à Dieu, le peuple connaît suffisamment la nature des services de sécurité et a compris qu’il s’agissait d’une mascarade.

Nous avons donc été torturés un mois durant. Le jour où ils nous ont transportés au tribunal Abane Ramdane, ils nous ont enchaînés de manière sauvage : nos mains étaient ligotées entre nos jambes et nos têtes maintenues vers le bas. Tout cela pour que nous ne puissions pas nous défaire de la hantise de la torture. Même chez le procureur général, ils nous menacèrent de nous reconduire au centre de torture si jamais il nous venait à l’esprit de nous rétracter. Chez le juge d’instruction, nous sommes restés enchaînés et les hommes de la sécurité sont entrés avec nous. Au juge, je n’ai pas osé dire la vérité. Comme au médecin de l’hôpital d’Ain-Naâdja, j’ai dit que je m’étais cogné la tête contre les murs, j’ai parlé de suicide. je ne voulais plus retourner au centre de torture.

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