Algérie Création d’une association des familles de disparus « enlevés

Algérie: Création d’une association
des familles de disparus « enlevés

Plus de deux mille parents de disparus venus de tout le territoire national se sont rassemblés le 22 août 1998 dans la cour du siège du Parti des travailleurs brandissant les photos de leurs proches. Ceci afin d’assister à une assemblée générale pour la création d’une association des familles des disparus afin de donner un cadre légal à leur mouvement, comme cela a été annoncé par le collectif. Finalement, l’assemblée générale a pris le caractère d’un rassemblement national pour des motifs d’organisation.

«Nous nous félicitons du fait que cette question ait été reconnue et que les autorités aient affiché une volonté de prendre en charge le dossier des disparus. C’est pour nous une petite avancée produite par la mobilisation des familles», soulignent les membres de la délégation qui ont été reçus par les services de la Présidence et du ministère de l’Intérieur. Ils ont par la suite exposé le bilan de toutes leurs actions, à savoir rassemblement, meeting, et ont fait le compte rendu des deux dernières audiences qui ont eu lieu le 17 du mois en cours.

Les membres de la délégation passent à la lecture de la plate-forme de revendications. Ils décident:

– de poursuivre leur mouvement par des rassemblements, des meeting et le maintien du sit-in chaque mercredi matin devant le siège de l’ONDH, tout en comptant sur le soutien de la presse nationale et internationale, des partis politiques, des associations et des avocats.

– Ils annoncent que la collecte des dossiers et la confection des listes des cas de disparus se poursuivront; ils seront déposés régulièrement au niveau du ministère de l’Intérieur.

– Ils appellent, en outre, à la constitution d’un collectif d’avocats pour les soutenir et les assister juridiquement. La plate-forme de revendications a été votée à l’unanimité.

– Un bureau provisoire chargé du suivi des actions à mener et d’engager toutes les démarches pour fonder l’association a été dégagé.

– Dans la résolution finale, il est entre autres indiqué que les membres du bureau auront à informer les familles de toutes les initiatives pour la satisfaction de leurs revendications, engager des démarches auprès du ministère de l’Intérieur pour avoir un local et un téléphone, collecter les dossiers au niveau national ainsi que ceux qui existent déjà auprès des avocats, de partis ou d’associations, assurer une permanence pour recevoir les familles provisoirement au niveau du siège du PT chaque lundi et jeudi, etc.

Principales déclarations

* «Nous nous engageons à poursuivre toutes ces actions jusqu’au règlement du cas du dernier disparu», annoncent les membres du bureau. * Les familles de disparus ont insisté sur le changement de l’appellation. «On ne parlera plus de disparus mais d’enlevés», lance un jeune homme dont un frère est porté disparu. La proposition a été adoptée.

Pour ces mères, épouses, frères et sours leurs proches ont été enlevés. «Mon frère est président d’APC à la commune d’El Hassania, wilaya de Aïn Defla. Il a été enlevé par la gendarmerie en 1994 en pleine journée de son lieu de travail devant de nombreux témoins et depuis nous n’avons aucune nouvelle de lui ; où est l’Etat de droit dont on parle ? » s’insurge-t-il.

Et à une jeune dame d’intervenir tout en faisant dans la dérision : «Comment peut-on croire qu’une vieille femme de 71 ans soit enlevée de nuit de sa maison. Depuis 1994, ses proches sont sans nouvelle. »

* Me Bouchachi: «Ma tristesse est que (c’est) depuis cinq années (déjà), que je suis cette affaire humanitaire.»

Il souligne que «les autorités doivent informer toutes ces familles du sort des milliers de personnes enlevées. C’est de leur droit d’avoir des nouvelles de leurs enfants. Tout ce rassemblement connote une tragédie humanitaire nationale. Les avocats de ces familles n’ont rien pu faire, c’est pour cela que nous remercions les partis politiques qui ont soutenu et encouragé ces familles».

Il affirme, en outre, que «ces enlèvements constituent une politique générale de l’Etat. En 1992 la loi a donné toutes les prérogatives aux forces combinées de procéder aux enlèvements des citoyens». La responsabilité ne revient pas aux gendarmes et aux policiers. «Les institutions de l’Etat doivent assumer leurs responsabilités historiques sur cette affaire tragique qu’ont vécue des milliers de familles algériennes», ajoute-t-il.

* Me Khelilli: «Au moment où nous avons tenté d’ouvrir ce dossier, des membres de ma famille ont été arrêtés et nous avons reçu des menaces», et de préciser «Nous avons fait le tour du monde afin de dévoiler cette honte.»

Citant l’exemple d’une femme qui s’est vu prendre ses deux enfants par les services de sécurité et menacée d’être enlevée elle aussi si elle déposait plainte, Me Khellili affirme que «c’est un scandale de prendre des enfants et de les séquestrer». Et d’ajouter : «Nous avons toutes les preuves des arrestations ».

* Louisa Hanoune: «le premier résultat de tout le mouvement entamé jusque-là est que des familles ont pu se regrouper dans les villes de l’intérieur et désigner des représentants qui sont venus au rassemblement national. Le plus important aujourd’hui est que ces familles se sont imposées et posé le problème auprès des plus hautes instances. C’est bien sûr grâce à toute la mobilisation de ces familles».

«Plusieurs mères de familles se sont confrontées à des situations très complexes. Les inscriptions scolaires posent désormais un problème à ces mères qui ne peuvent pas signer un quelconque document administratif où l’autorisation du père est indispensable».

Elle a, par ailleurs, relancé la proposition de la publication d’un «livre blanc» où tous les témoignages relatifs aux disparus seraient portés.

* Les membres du bureau affirment que leur mouvement se poursuivra jusqu’à ce que la lumière soit faite sur cette affaire. Leur prochain sit-in aura lieu mercredi devant le siège de l’ONDH.

* Les familles des disparus relèvent avec regret le silence du président de la République sur cette affaire : «Le président n’a pas soufflé mot sur ce problème lors de son discours télévisé».

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