Immigrés clandestins: La fin de la cavale ?

Rapatriement des immigrés clandestins

La fin de la cavale ?

Le Quotidien d’Oran, 24 décembre 2005

La dernière opération d’envergure de rapatriement des clandestins subsahariens semble avoir atteint l’impact escompté: elle s’est avérée finalement la plus efficace par son résultat probant par rapport à 3 autres précédemment menées, qui, malgré les moyens engagés, n’ont pas abouti aux mêmes résultats.

Ils étaient plus de 700 clandestins à avoir été soulagés du calvaire de la misère et de la situation d’impasse et de détresse où ils se trouvaient, notamment dans la ville de Maghnia, connue pour son froid en période hivernale. Cette opération de rapatriement, qui est en fait le voeu de la majorité des immigrés, relevé sur place par des hauts responsables de l’Etat qui se sont personnellement déplacés aux 8 camps de fortune, a été soigneusement préparée en collaboration avec certaines représentations diplomatiques et consulaires des pays d’origine.

Selon le témoignage de clandestins, ce sont principalement les récents déboires connus à la frontière espagnole qui ont été à l’origine de cette décision unanime de regagner leurs pays. On se rappelle que, craignant que les frontières soient plus difficiles à traverser en raison des nouvelles dispositions prises par les Espagnols, telles l’élévation de la troisième barrière métallique devant les enclaves de Ceuta et Melilla, portes d’entrée de l’espace Schengen, les prochaines mises en place de systèmes de détection à infrarouges et le renforcement des contingents de la Guardia civile, environ 2.000 clandestins ont quitté subitement la région de Maghnia pour mener, avec leurs compatriotes déjà sur place, une ultime opération de force pour pénétrer en territoire ibérique et donc l’Europe. Le résultat sanglant qui en a résulté est bien connu.

Au lendemain de cette tragédie, les clandestins se sont retrouvés dans une situation lamentable. Démunis de tout, réduits pour certains à de réelles loques humaines après les nombreuses tentatives de forcer la barrière métallique, certains rescapés des derniers assauts spectaculaires collectifs sont revenus à oued Jorgy (camp de fortune à la périphérie ouest de la ville de Maghnia, sur le flanc d’une rivière du même nom).

Si certains ont pu échapper à la réaction brutale espagnole et au calvaire marocain et ont réussi, à pied (au minimum 5 jours de marche) ou dans des malles de voitures de Marocains pour ceux qui avaient encore de l’argent, à rejoindre leurs camps à Maghnia, d’autres, moins chanceux, ont été déportés par les Marocains au sud du pays, ont enduré le désert, la faim, la soif et la fatigue et ont cavalé, pour les plus chanceux parmi eux, 15 jours dans un environnement hostile pour regagner Maghnia. Le témoignage, avant le rapatriement, de Chantal la Congolaise et de Jean-Louis le Camerounais, est poignant à plus d’un titre. Le cas de ce dernier qui a rejoint le camp a été largement médiatisé. Il avait déclaré à l’envoyé spécial de EuroNews avoir subsisté dans le désert 6 jours durant sans manger ni boire. Celui-ci déclare par ailleurs avoir été descendu des bus, lui et ses compagnons de misère, par les Marocains, avant d’être éparpillés à coups de rafales dans le désert à la frontière algéro-marocaine.

«Après les coups de feu en l’air, nous nous sommes dispersés et des groupuscules, devant l’absence de repère, ont pris des directions différentes. A partir des contacts que nous avons eus avec certains parmi eux, on a su que 23 personnes ont péri dans le désert», a témoigné Jean-Louis, apparemment très affecté par la dure expérience qu’il vient de vivre.

Chantal est un autre cas. Car en plus du fait qu’elle soit une femme, elle est accompagnée de son enfant de 13 ans. Celui-ci est né durant la cavale qu’elle a menée dans presque tous les pays du Maghreb. «Mon garçon est né en Libye et a grandi au Maroc. Comme il côtoyait les enfants de ces 2 pays, il parle maintenant bien l’arabe», dira fièrement Chantal, qui, avec son enfant, est parmi les centaines qui ont frôlé la mort sur «la déviation», passage au bord de la mer très risqué et bien connu par les clandestins, qui débouche sur Melilla, le long d’un grand rocher abrupt ou le faux pas est fatal.

«Avant d’affronter la déviation, nous nous sommes terrés durant 5 ou 6 heures de nuit, non loin de l’embouchure, sans bouger, à guetter le moment de la relève des services de sécurité espagnols ou profiter d’un moment d’inattention. Vers 5 h du matin, nous avons foncé vers le rocher et tenté de le traverser le plus rapidement possible avec la contrainte de l’obscurité, du brouillard et avec celle de rester sur l’étroit sentier de 20 cm de largeur, avec le risque de disparaître à jamais dans la mer, 15 mètres plus bas», raconte Chantal, l’air exténuée. Après cette tentative périlleuse, elle a réussi avec le groupe à pénétrer dans l’espace espagnol au moment où d’autres compatriotes, qui ont préféré affronter le mur métallique, supposé relativement moins dangereux, donnaient l’assaut meurtrier. Malheureusement, celle-ci a été refoulée avec son enfant en territoire marocain où elle a été embarquée vers le Sud avec les autres.

Les témoignages poignants des conditions de déportation et du calvaire du retour du Sud de plusieurs autres émigrés dénotent une barbarie extrême qui n’encourage pas ces malheureux à davantage de risque. Cette opération de rapatriement a été pour les centaines de jeunes Africains, qui nourrissaient l’espoir d’aller vivre en Europe et qui ont terminé démunis à Maghnia, une aubaine pour rentrer au bercail. Hormis quelques cas qui ont été refoulés aux frontières par les Marocains et qui se terrent actuellement sur les hauteurs de la ville, dont la présence se fait très discrète, tous les clandestins ont été transférés par voie aérienne vers Adrar, où ils ont été pris en charge, avant que l’opération de rapatriement ne soit effective samedi passé.

Il faut remonter aux années 70 pour voir le phénomène de cette immigration illicite se développer, années durant lesquelles un important flux d’immigrés subsahariens a tenté de fuir des pays marqués par les guerres fratricides, la misère et la sécheresse pour se réfugier dans le Sud algérien, où les conditions étaient plus clémentes. Les immigrants maliens et nigériens étaient les pionniers de cet exode et ils se sont principalement concentrés à Tamanrasset et dans les wilayas limitrophes.

L’expatriation de familles entières issues de ces 2 pays devient plus accentuée dans les années 80, lors de la guerre qui a éclaté entre le Niger et le Mali. Les vaines tentatives de rapatriement qui s’ensuivirent ont valu un acharnement féroce des médias vis-à-vis de l’Algérie, laquelle a subi par ailleurs les assauts des ONG et autres discours moralisateurs par des parties de l’autre côté de la Méditerranée. Ces dernières n’avaient cependant pas l’air de mesurer la gravité et la portée de ce flux, contre lequel aucun engagement économique des pays occidentaux n’a été initié ou même envisagé pour stimuler la fixation des populations subsahariennes.

La voie fut ainsi ouverte à d’autres immigrants issus de pays situés plus au sud et qui ont fui également la pauvreté et la violence, préférant tenter l’aventure. Des Ghanéens, Nigériens, Zaïrois, Camerounais, Sénégalais, Ivoiriens, Burkinabais et bien d’autres ont pisté leurs prédécesseurs maliens et nigériens, mais en poussant davantage leur destination, à savoir l’autre rive de la Méditerranée. Ces candidats à l’aventure n’ont reculé devant aucun obstacle pour traverser le désert au prix de leur vie dans certains cas et rejoindre le nord de l’Afrique. Des filières et réseaux qui se sont spécialisés dans l’organisation de ces aventures se sont entre-temps multipliés.

Maghnia est devenue par la force des choses le principal centre de transit, et par la suite un point de repli pour les moins chanceux qui n’ont pas réussi leur cavale. La région a subi les conséquences fâcheuses de la présence d’une importante concentration d’immigrés clandestins plongés dans la misère et le dénuement total suite aux nombreuses tentatives vaines de passage vers l’Europe. Le pic a été connu au milieu des années 90, où quelque 3.000 immigrés se sont installés sur les rives de l’oued Jorgy, au sud de la ville, dans un seul camp. Cette concentration de démunis n’a pas été sans répercussions néfastes sur la population maghnaouie, laquelle a été incommodée par les rixes et mêmes des échauffourées généralisées fréquentes à cause de démêlés ethniques ou de conflits religieux ainsi que par certaines pratiques telles que la mendicité, les vols, l’arnaque et l’agression.

Pour les services médicaux, ceux-ci n’ont jamais refusé l’assistance médicale aux malades et aux femmes enceintes. Les quelques rappels à l’ordre qui se sont traduits par des rapatriements ponctuels ont poussé les immigrés à se diviser en plusieurs camps distincts implantés le long d’un oued. Chaque communauté a fixé ses règles pour favoriser l’entraide et pour éviter les conflits. Ces camps de fortune se sont dotés de toutes les commodités nécessaires, telles le restaurant collectif, la réserve d’eau, la douche, la mosquée ou l’église, le stade, l’infirmerie et même… la prison. «Chacun, selon ses possibilités, verse son obole afin d’éviter à certains de vivre de la mendicité, qui est de loin le principal facteur qui ternit notre image», témoignent certains clandestins.

L’implication de l’Europe s’avère incontournable en vue de trouver une solution à ce problème, dont les répercussions n’affectent pas seulement le Maghreb. Actuellement, la volonté de lutte contre l’immigration clandestine semble plus engagée avec la création récente d’une brigade de recherche à Maghnia pour la lutte contre l’immigration clandestine. Celle-ci est l’un des premiers prolongements régionaux de l’Office central de lutte contre toutes les filières et réseaux liés à l’immigration clandestine. C’est l’un des outils dont se dote le pays dans le cadre de sa coopération avec la France pour la lutte contre ce fléau. On rappelle que dans ce cadre, des spécialistes français dans la lutte contre l’immigration clandestine ont animé à Maghnia un stage dont l’objectif était le partage de l’expérience afin de contribuer efficacement dans la lutte contre ce fléau qui prend des proportions alarmantes.

Ce stage, qui a été suivi par une centaine de cadres nationaux de la police des frontières, et où le côté technique a été abordé, notamment les nouvelles techniques de falsification des documents officiels, ou encore la lutte contre les filières et réseaux, permettra une mise à niveau au plan international de la police des frontières algérienne quant à la lutte contre l’immigration irrégulière, considérée désormais comme une forme de criminalité.

C’est là une action effective qui vient conforter la recommandation relative à l’immigration clandestine arrêtée lors de la conférence des «5+5», tenue à Alger, qui insiste sur l’organisation de séminaires d’experts chargés de la gestion des flux migratoires, sur le renforcement du partenariat et la coopération entre les 10 pays des deux rives de la Méditerranée et sur la nécessité d’approfondir et de développer l’approche conceptuelle des questions migratoires.

Convaincus de la nécessité d’investir en l’homme pour une police moderne, les responsables ne semblent ménager aucun effort pour son perfectionnement et son alignement sur les normes internationales pour une meilleure efficacité. L’immigration clandestine de Subsahariens se terminera-t-elle avec cette opération de rapatriement ? Rien ne semble encore moins sûr, et ce tant qu’aucun cadre cohérent n’a été mis en place par les pays occidentaux en matière de coopération et de développement avec les pays du Sud.

Cheikh Guetbi