Autodestruction assistée

Autodestruction assistée

par M. Saadoune, Le Quotidien d’Oran, 27 novembre 2014

Il y a quelques semaines, l’émissaire de l’Onu pour la Libye, Bernardino Leon, disait craindre que le pays n’atteigne le point de non-retour. On se demande si ce point n’est pas dépassé avec l’escalade en cours entre les protagonistes d’une guerre libyenne fortement alimentée de l’extérieur. Après des raids aériens contre Benghazi, Tripoli et Nafoussa, dans l’Ouest, le secrétaire général de l’Onu, Ban Ki-moon, a appelé à la fin des attaques et a demandé à «toutes les parties» de stopper l’escalade. Le SG de l’Onu s’est dit convaincu que le «dialogue» est le seul moyen de résoudre la crise et a redit sa confiance dans les efforts de Bernardino Leon en ce sens. Ban Ki-moon ne peut pas aller au-delà d’une certaine langue de bois diplomatique. Il ne peut pas dire ouvertement que «toutes les parties» en action en Libye ne sont pas que libyennes. Si le dialogue est bien la «seule» voie pour sortir de la crise, il est rendu impossible par les ingérences extérieures. Il n’est pas difficile de les distinguer : il suffit de voir comment Al-Jazeera et Al-Arabiya couvrent la situation en Libye pour en avoir un aperçu. Le Qatar apporte un soutien franc au gouvernement de Tripoli, l’Egypte et les Emirats au gouvernement de Tobrouk. Ces parties externes ne se contentent pas d’un soutien médiatique. L’embargo sur les armes décidé par l’Onu est battu en brèche. Dans une Libye qui ne manque pas d’armes, cela ne fait qu’accroître les capacités d’autodestruction des Libyens. Ces parties extérieures poussent à la solution militaire. Et elles y réussissent. Les protagonistes de la guerre sont ainsi encouragés à aller jusqu’au bout de la Libye. L’Etat libyen n’existe plus et les incitations à la poursuite des affrontements mettent en péril l’existence même de ce pays. La partition de ce pays n’est plus une vue de l’esprit. Elle se dessine par les armes. L’Egypte est dans une démarche «éradicatrice» contre ses Frères musulmans, elle la poursuit en Libye où elle se fait le soutien et le conseiller du gouvernement de Tobrouk. Le maréchal Sissi semble clairement parier sur la solution militaire et soutient ouvertement le général Haftar dans son offensive meurtrière contre Benghazi. Le Caire, à défaut d’une victoire militaire du gouvernement de Tobrouk, semble prêt à encourager une séparation de la très riche Cyrénaïque voisine du reste de la Libye. Aucun officiel égyptien ne le reconnaîtra mais ce qui se passe sur le terrain et l’obstruction politique que Le Caire mène pour entraver le dialogue en sont les signes. L’Algérie qui défend un dialogue large et inclusif pour résoudre la crise libyenne est, elle aussi, contrainte à la langue de bois diplomatique. Aucun officiel n’admettra publiquement que les démarches de l’Algérie et de l’Egypte, les deux grands voisins de la Libye, ne vont pas dans la même direction. Pour l’heure, l’Algérie se fait moins causante sur le projet de réunir les protagonistes libyens. Et pour cause, les dynamiques externes poussent les acteurs libyens vers plus d’affrontements, vers la «guerre totale» dans l’illusion qu’ils peuvent trancher la situation. L’heure du dialogue n’est pas venue. On ne sait pas si elle viendra au rythme avec lequel ce pays s’entretue avec l’aide de l’extérieur.