Djamel Zenati : «Pourquoi pas un congrès de l’opposition ?»

Djamel Zenati : «Pourquoi pas un congrès de l’opposition ?»

El Watan, 16 février 2011

Djamel Zenati, comme à son habitude n’y va pas par quatre chemins pour maintenir que ce pouvoir ne peut être vaincu que par une opposition unie, donc forte. D’où, pour lui l’urgence de la création d’un congrès de l’opposition. «C’est une nécessité, dit-il, car la forte disposition de la population risque de se perdre dans la mauvaise image que renvoient la dispersion et les tiraillements des forces politiques.»
A propos de la décision de la Coordination nationale pour le changement et la démocratie de recourir à des marches cycliques, chaque samedi à Alger, Djamel Zenati trouve que «ce n’est pas une mauvaise idée» mais qu’«il est nécessaire d’envisager des actions collectives d’appui aux
samedis de l’espoir». «Le 12 a été le samedi du défi, ajoute-t-il, le 19 celui de la détermination et ainsi de suite jusqu’au samedi du départ. Ces samedis de l’espoir, chacun avec son contenu, pèseront tellement lourd sur la dictature qu’elle se démystifiera d’elle-même».

– La Coordination nationale pour le changement et la démocratie a opté pour des marches cycliques à Alger. Cette méthode ne risque-t-elle pas d’user le mouvement de contestation, de disperser ses énergies ?

Ce n’est pas une mauvaise idée dans la mesure où cela permettra d’exercer une pression permanente sur le pouvoir. Le 12 a été le samedi du défi, le 19 celui de la détermination et ainsi de suite jusqu’au samedi du départ. Ces samedis de l’espoir, chacun avec son contenu, pèseront tellement lourdement sur la dictature qu’elle se démystifiera d’elle-même. Il est vrai que le risque de l’usure et de la dispersion est réel. Pour que chaque samedi nous rapproche du samedi du départ, il est nécessaire d’envisager des actions collectives d’appui aux samedis de l’espoir. Il faut coûte que coûte maintenir le contact avec la population car les grands bouleversements historiques se produisent quand des idées rencontrent un large écho dans l’opinion. Il y a un aspect qui doit en urgence être pensé et investi : c’est celui de la communication. La machine de propagande du pouvoir et de ses relais doit être démystifiée et ses effets neutralisés en temps réel.

– Quelles devraient être, d’après vous, les moyens de lutte à mettre en œuvre pour assurer une adhésion maximale ? Une occupation permanente de l’espace public, comme sur la place Tahrir ? Une grève générale ? Ou la désobéissance civile ?

Il n’y a pas de voie royale ou de recette toute faite en matière de combat politique. C’est sur le terrain des luttes concrètes que se détermine le sort d’une mobilisation.
Plus la dynamique est partagée et plus le génie populaire révèle des capacités insoupçonnées à esquisser des projections et à tracer des perspectives. Le citoyen en mouvement agit alors à la manière du sculpteur qui travaille sa pièce avec dextérité et amour. Les grandes œuvres sont souvent le produit de tâtonnements successifs. Mais tout cela ne dispense pas les acteurs politiques du travail de réflexion et de construction.
Regrouper l’ensemble de l’opposition est une nécessité car la forte disposition de la population risque de se perdre dans la mauvaise image que renvoient la dispersion et les tiraillements des forces politiques. Il faut rapidement amorcer un débat sérieux et serein et cesser de s’invectiver par médias interposés. Il faut solder les querelles du passé tout en évitant de sombrer dans l’oubli. Pourquoi pas un congrès de l’opposition ? En plus de l’impératif de l’élargissement, il y a lieu de régler la question liée aux garanties que doivent se donner les acteurs politiques les uns les autres. Nous n’avons pas une grande tradition ni un sens profond de la relation contractuelle. Les infidélités et les trahisons qui ont jalonné notre histoire ancienne et récente ont fait naître en nous un instinct de suspicion et de méfiance qui empêche souvent les convergences. Il est légitime de faire preuve de vigilance, mais pas au point de voir l’ombre du DRS derrière chaque frémissement de la société. La paranoïa est une attitude paralysante qui cultive l’impuissance. Le citoyen attend qu’on l’oriente, qu’on le responsabilise, qu’on le libère de la léthargie actuelle. Il faut appeler à la constitution de comités pour le changement partout dans le pays et mettre à leur disposition les outils dont ils auront besoin dans leur lutte quotidienne. Il est de la responsabilité de chacun de mener un travail pédagogique d’explication des enjeux.

– Beaucoup d’observateurs pointent du doigt la frilosité et le manque de radicalité qui imprègnent la démarche de la CNCD. Un coup on y va, un coup on n’y va pas : cette posture n’est-elle pas en déphasage par rapport à la revendication du mouvement de contestation, à savoir le «départ de tout le système» ?

Vous avez raison, mais j’ose croire que cela est dû au tâtonnement plus qu’à un choix politique délibéré. C’est le début de quelque chose et il faut du temps pour que cette dynamique trouve ses marques. Il est tout à fait normal que les sigles qui la composent se mettent en avant. Mais plus la mobilisation sera forte et plus se produira un dépassement des structures classiques qui fera subir à la contestation un saut qualitatif et rendra irréversible l’avènement d’un changement dans le sens voulu par les citoyens.

– Une des critiques qu’a essuyé récemment la CNCD de la part notamment des partis d’extrême gauche, des syndicats autonomes, c’est de n’avoir pas su articuler les questions des libertés démocratiques et les questions sociales. Partagez-vous ce constat ? Pourquoi est-ce si important d’inclure les questions inhérentes à la justice sociale, à l’emploi, à la redistribution équitable des richesses nationales, etc. dans la plateforme de revendications ?

Je partage cette critique avec les syndicats autonomes. Les questions sociales sont des éminemment politiques.
Est-il besoin de rappeler que la situation dramatique que vit notre pays est le résultat de choix politiques délibérés d’un pouvoir qui ne reconnaît pas le principe de la souveraineté populaire ni ne se soumet à quelque contrôle ? Il ne fait pas de doute que la dynamique de remise en cause du système est condamnée à mettre les préoccupations concrètes des citoyens au centre de ses exigences et réfléchir d’ores et déjà à des formalisations qui puissent imprimer à notre future démocratie une forte dimension sociale. Toute l’histoire de l’Algérie a été et demeure celle de l’affrontement, souvent violent, entre domination et libération selon des modalités spécifiques à chaque séquence historique. Les valeurs de justice, d’égalité et de solidarité constituent le fondement même de notre univers civilisationnel et spirituel.

S’agissant de l’extrême gauche – je parle du PT – elle s’est placée sur le terrain de la guerre idéologique et n’utilise la question sociale qu’à titre accessoire et de façon instrumentale. Etant sincèrement démocrate, je conçois parfaitement que l’on soit en désaccord sur une analyse, une position ou encore une action. Ce qui par contre est inacceptable c’est quand les divergences empruntent les canaux de la diversion, du mensonge et de l’invective. En décrétant que la marche du 12 est celle des archs et en accusant les organisateurs d’être à la solde de l’Union européenne, notre lambertiste use d’une technique idéologique de dissuasion chère aux dictatures des années 1970 et qui consiste à brandir le spectre de l’ennemi intérieur et extérieur.
Quant au clivage gauche/droite, je crois qu’il n’a pas grande pertinence dans un système dont la fonction n’est pas d’organiser la compétition politique selon les règles démocratiques, mais de garantir la domination d’une caste de brigands sur toute la société. La priorité est avant tout d’arracher le droit à la libre expression dans toutes ses dimensions. Pour être de gauche ou de droite, il faut d’abord être. Mais l’ancienne militante acharnée de la révolution internationaliste a apparemment revu très à la baisse ses ambitions pour se contenter du triste rôle de baromètre de la République.

– Revenons à la marche avortée du 12 février dernier à Alger. Le régime et sa presse parlent d’un échec cuisant. A propos des initiateurs de cette marche, Mourad Medelci, le ministre des AE, les désigne comme étant l’émanation de «mouvements minoritaires» dans la société. Comment avez-vous vécu et analysé cette marche ? Vous, avez-vous trouvé matière à satisfaction ou est-ce le désenchantement ?

N’eut été le dispositif sécuritaire impressionnant mis en place pour empêcher les citoyens de s’exprimer, la mobilisation aurait connu une ampleur sans précédent. Le ministre des Affaires étrangères est libre de se complaire dans une attitude étrangère à la réalité du pays. La marche du 12 a eu le grand mérite d’avoir débusqué le pouvoir et étalé au grand jour sa nature autoritaire.
Il est vain de faire croire au citoyen que cette hypertrophie du corps de la police est là pour garantir la sécurité des biens et des personnes. Jamais le banditisme, la délinquance et la corruption n’ont atteint un seuil aussi élevé. La vérité est que la nomination de Zerhouni à la tête de l’Intérieur répondait au souci de constituer, d’une part, un contrepoids face à l’armée et, d’autre part, de mettre en place un organe efficace de contrôle social. Il serait intéressant de mesurer l’évolution qu’a connu ce secteur depuis 1999.
Lorsqu’un pouvoir privilégie les institutions de répression au détriment de celles qui dispensent le savoir, il ne fait qu’inscrire le pays dans une dépendance structurelle très préjudiciable pour l’avenir de nos enfants. Cet acharnement à vouloir garder le pouvoir a privé nos gouvernants de toute vision stratégique. L’Algérie est à la merci de la plus petite fluctuation des cours mondiaux du pétrole et autres produits alimentaires.

Nombre de militants démocratiques disent ne pas comprendre la position «passive» du FFS. L’actuelle direction du parti semble avoir complètement déserté le terrain de la lutte et renoncé au rôle historique de figure de proue de l’opposition démocratique que fut celui du FFS depuis sa création. Partagez-vous ce sentiment ? Quelles seraient, d’après vous, les raisons objectives (ou subjectives) qui empêchent le FFS de jouer un rôle-clé dans cette phase charnière dans le processus de transformation de la société algérienne ?
Je me suis déjà exprimé sur cette question et n’attendez pas de moi que je m’en prenne au FFS ou que je m’exprime à sa place. Je demeure convaincu que sa place est d’être à l’avant-garde de cette mobilisation. Il a peut-être choisi un autre mode d’action. Ce qui est, à mon sens, important c’est de favoriser les convergences. A ce propos, j’ai grand espoir que les lignes bougent.


– Dernière question : le come-back de Djamel Zenati est-il pour bientôt ?

Je vous assure que je ne cherche rien d’autre qu’apporter une modeste contribution à la construction de l’alternative démocratique en Algérie. Ceux qui me connaissent bien savent la répulsion que j’ai pour tout ce qui relève du spectacle et de l’honorifique.
Je suis un pur produit du mouvement de masse et, comme tel, je suis étranger à la culture des appareils et de l’intrigue. Je suis très attaché aux principes et j’ai horreur de l’opportunisme et du paraître.

* Djamel Zenati est un Ancien député du FFS et directeur de campagne présidentielle de Hocine Aït Ahmed (1999)

Mohand Aziri