Les dessous d’un clash inattendu

Rupture de confiance entre le gouvernement et ses alliés traditionnels

Les dessous d’un clash inattendu

Liberté, 19 juillet 2017

Il y a comme la nette impression de ce que le pouvoir, ayant épuisé ce qui lui restait de crédit auprès de la population, se cherche un nouvel équipage pour l’aventure de l’élection présidentielle.

Le Premier ministre, Abdelmadjid Tebboune, en tournée d’inspection, samedi dernier, à Alger, est informé de la présence du président du Forum des chefs d’entreprise (FCE), le patron du groupe ETRHB, Ali Haddad, à la cérémonie de sortie de promotion à l’école supérieure de la sécurité sociale où il était attendu. Il pique une colère qu’il parvient à peine à dissimuler et charge son protocole d’intimer l’ordre de le faire évacuer des lieux. Gêné, le ministre du Travail, le maître de céans qui a invité Haddad, sollicite l’aide du secrétaire général de l’UGTA, Abdelmadjid Sidi Saïd, également convié à la cérémonie.
Ce dernier accepte de s’acquitter de la tâche mais à contrecœur. C’est lui donc qui signifie à Haddad qu’il était indésirable à la cérémonie. Les deux hommes quittent ensemble les lieux. Chose qui ne passe pas inaperçue. Leur départ précipité, avant même l’arrivée du cortège du Premier ministre, est vite rapporté par les médias en ligne et relayé par les réseaux sociaux. L’information s’est propagée telle une traînée de poudre. L’opinion publique est édifiée. Le pouvoir n’arrive plus – ou ne fait aucun effort – à dissimuler ses contradictions. Avec l’incident, ses tiraillements sont désormais étalés sur la place publique. Depuis lors, tout le monde a acquis la certitude que rien ne va plus entre le gouvernement et ses alliés traditionnels, du moins avec l’un d’entre eux, en l’occurrence le patron de l’ETRHB. Et le Premier ministre semble avoir fait exprès pour que cela se sache. Mais alors pourquoi a-t-il agi de la sorte et plus particulièrement avec Ali Haddad ? Nul n’est crédule au point de croire que l’attitude du Premier ministre procède de la seule animosité qu’une personne peut nourrir à l’endroit d’une autre. Personne n’est dupe aussi au point de se laisser convaincre que Tebboune se soit risqué de son seul propre chef à attaquer de la sorte le président du FCE, grand et riche allié du pouvoir.
Le Premier ministre agit, pour sûr, selon une feuille de route, laquelle s’articulerait autour d’une option politique lourde que beaucoup d’observateurs estiment, au demeurant, liée à l’élection présidentielle de 2019. Il y a en effet comme la nette impression de ce que le pouvoir, ayant épuisé ce qui lui restait de crédit auprès de la population, se cherche un nouvel équipage pour l’aventure de l’élection présidentielle. Un équipage difficile à recruter dans l’état actuel des choses. Pour espérer y parvenir, il lui faudrait rompre, sinon totalement, du moins en partie les équilibres qui ont prévalu et en construire de nouveaux, à travers notamment l’élargissement du pacte social à des partenaires autres que les traditionnels et l’implication, en même temps, de la classe politique. Et pour construire les nouveaux équilibres, il faudrait nécessairement débarquer quelques-uns des membres de l’ancien équipage. Et qui mieux pour subir l’infortune que ceux choyés par l’ancien gouvernement dont Tebboune est en train de faire le bilan, pour ne pas dire le procès. Le patron de l’ETRHB semble tout indiqué pour endurer cette épreuve.
D’ailleurs, son renvoi de l’école supérieure de la sécurité sociale a été accompagné de mises en demeure pour rattraper les retards dans l’achèvement des marchés publics. La fin de l’impunité semble avoir sonné pour lui. Pour tous les autres qui, comme lui, ont joui de statut de privilégiés. C’est ainsi que l’on a assisté hier à l’expression d’une solidarité active de signataires du pacte économique et social, organisations patronales privées et Centrale syndicale, avec Ali Haddad. Une solidarité mais beaucoup plus, puisqu’en vérité, il s’agit d’une riposte groupée, une résistance à la nouvelle modulation politique proposée par Tebboune. L’UGTA, rudement concurrencée sur le terrain par les syndicats autonomes, ne veut pas perdre l’exclusivité de la représentation sociale. Les patrons, eux, craignent que les nouvelles parties invitées au dialogue posent la condition, pour leur participation, de faire le point de situation sur des dossiers tel celui du foncier industriel et agricole. Des dossiers dont l’ouverture est redoutée.
Cela dit, s’il est un fait que les signataires du pacte économique et social se liguent contre Tebboune, le font-ils pour autant par instinct de survie ? Il est fort à parier que leur bravade si singulière, il faut le dire, pose des interrogations. Pour d’aucuns, leur initiative a des appuis conséquents au niveau des sphères qui rivalisent autour du contrôle du processus politique qui devra déterminer la succession en 2019. Cela se devine aussi à travers les réactions partisanes à l’offre de dialogue du gouvernement.
Il y a les partis qui font du refus une position de principe et d’autres, qui n’aiment pas forcément fréquenter le pouvoir, s’affichent dans des positions nuancées, histoire de patienter pour mieux cerner les enjeux.

Sofiane Aït Iflis


 

Il est partie prenante des protestations patronales

L’étrange réapparition de Sidi-Saïd

On le disait souffrant mais voilà que le secrétaire général de l’UGTA, Abdelmadjid Sidi-Saïd, rue dans les brancards pour soutenir son ami, Ali Haddad, président du FCE, chassé comme un malpropre, samedi dernier, de l’Institut supérieur de la Sécurité sociale, selon les desiderata du Premier ministre Abdelmadjid Tebboune qui, pour rappel, n’a pas souhaité le rencontrer à cette occasion. Jouant au début les “Missi Dominici”, le patron de la Centrale syndicale n’a pas tardé à afficher la couleur, en outrepassant, cette fois, son rôle traditionnel de “pompier” et en se rangeant résolument du côté du “patron des patrons”, aujourd’hui en perte de vitesse. Une situation qui prêterait à rire sous d’autres cieux mais pas en Algérie où l’UGTA a troqué, depuis longtemps, sa vocation revendicative pour assurer, coûte que coûte, la sempiternelle “paix sociale” subséquente à la stabilité politique, maître-mot des tenants du pouvoir.
Sur ce registre du front social, il faudrait, peut-être, remonter jusqu’au mandat du défunt Abdelhak Benhamouda pour retrouver une phrase qui commencerait par “l’UGTA dénonce”… Il est vrai que l’actuel secrétaire général s’est surtout contenté, jusque-là, de “monter au front” uniquement pour défendre mordicus, les mesures prises par les différents gouvernements qui se sont succédé ces dernières années et dont il assurait souvent le service après-vente auprès des travailleurs. En prêtant, hier, une fois n’est pas coutume, le papier à en-tête de l’UGTA à plusieurs organisations patronales pour fustiger dans un communiqué le gouvernement, Sidi- Saïd est, bel et bien, devenu, dans cette affaire, un véritable belligérant. Il vient de signer, ainsi, son retour tonitruant sur le front… patronal en se solidarisant, contre toute attente, avec des détenteurs de capitaux dont certains sont, aujourd’hui, sur la sellette.
Mais qu’est-ce qui fait courir réellement Sidi-Saïd ? S’agit-il d’une soudaine prise de conscience des enjeux à venir ? Rien n’est sûr, même si certaines sources croient qu’en engageant, à son tour, un bras de fer avec le gouvernement, le SG de l’UGTA risque de perdre des plumes dans cette affaire sachant qu’il a déjà fort à faire avec la gestion controversée des œuvres sociales des travailleurs du secteur de la poste et des télécommunications où un audit externe de l’Inspection générale des finances (IGF) évoque de graves irrégularités se chiffrant à plusieurs milliards.
Certains même voient une cause à effet dans la présence surprenante du “syndicaliste en chef” aux côtés de patrons, réunis, eux, pour soutenir l’un des leurs. Bien sûr, le pacte économique et social qui est resté lettre morte n’en est qu’un prétexte. De ce point de vue, même le “traitement réservé” à son ami, Ali Haddad, ne peut être perçu que comme un autre subterfuge.

Mohamed-Chérif Lachichi


Rachid Grim, politologue

“Cela s’inscrit dans le cadre de la succession”

Dans cet entretien express, le politologue Rachid Grim revient sur l’enjeu sous-jacent du bras de fer entre le Premier ministre Abdelmadjid Tebboune et le patron du FCE Ali Haddad.

Liberté : Que cache ce bras de fer entre le patron du FCE Ali Haddad et le Premier ministre Abdelmadjid Tebboune ?
Rachid Grim : Je ne pense pas que ce soit un bras de fer entre les deux, uniquement. Cela les dépasse. Il faut relever qu’Ali Haddad a connu une grande ascension depuis le quatrième mandat : c’est lui qui a financé la campagne présidentielle en 2014 et donc, forcément, il attendait un renvoi d’ascenseur. Et non seulement, il a bénéficié d’énormément de projets dans plusieurs secteurs, mais il a été également propulsé à la tête de l’organisation patronale, le FCE, ce qui est un symbole fort du fait que cette organisation regroupe les grands entrepreneurs algériens. Progressivement, il commençait à faire de la politique même s’il n’était pas préparé pour cela. Son amitié, vraie ou fausse, avec le frère du président de la République, Saïd Bouteflika, a fait qu’il est presque devenu un intouchable. Cela sans compter ses liens avec Sellal. Donc, de mon point de vue, c’est une décision qui vient de plus haut. La prochaine étape, je pense, sera son élimination de la tête du FCE. Je ne serais pas étonné si, d’ici trois à quatre mois, il soit éliminé de la tête de l’organisation patronale. Les mises en demeure publiées dans la presse, c’est du sérieux.

Pourquoi veut-on l’éliminer ?
Il ne faut pas perdre de vue que l’objectif suprême, c’est 2019. On ignore, pour l’heure, si le Président va succéder à lui-même – car l’hypothèse d’un cinquième mandat n’est pas totalement abandonnée – ou s’il va finir son mandat et céder sa place. À mon avis, cela s’inscrit dans le cadre de la préparation de la succession. On procède à l’élimination de tous ceux qui peuvent peser dans l’élection, ceux qui traînent des casseroles et qui ne jouissent pas d’une bonne réputation auprès de la population. Ils montrent des signes qu’ils veulent assainir (…) on est en train de les mettre, un par un, à côté : il y a Sellal, il y a Ouyahia qui est ciblé, Haddad, etc. Mais qu’est-ce qui va se passer après ? Y a rien de clair. Tout dépend du président Bouteflika.

Qui sont ces centres qui sont en train de tirer les ficelles ?
Bien malin celui qui serait capable de le dire. Ce qu’il faut retenir, c’est qu’il y a deux possibilités : ou Bouteflika sera contraint de se retirer, auquel cas, ils vont chercher à se mettre d’accord sur un candidat du consensus, ou alors Bouteflika, s’il se sent encore en forme, va rempiler pour un autre mandat, car c’est un homme de pouvoir.