Il sort un livre sur l’implication de l’armée dans les actes terroristes

Il sort un livre sur l’implication de l’armée dans les actes terroristes

Mohamed Samraoui relance le « Qui tue qui ? »

Le Matin, 23 septembre 2003

Algérie : comment les services secrets ont manipulé les groupes islamistes. C’est par ce sous-titre qui ne soulève aucune ambiguïté que l’ex-officier de la Sécurité militaire, Mohamed Samraoui, aujourd’hui réfugié politique en Allemagne où il était affecté au bureau militaire de l’ambassade de 1992 à 1996, donne le ton du contenu de son livre au titre moins suggestif de Chronique des années de sang. Paru chez l’éditeur français Denoël, le livre a déjà bénéficié d’un bon lancement médiatique avec notamment une conférence de presse de l’auteur à Paris. Y était présent notamment le sous-officier Habib Souaïdia, auteur du livre La Sale Guerre.
Entre les deux ouvrages existe une unité thématique à laquelle Samraoui donne plus de relief. Elle vient sans doute de la différence de niveau qu’il y a entre l’officier et son subordonné. Dès le prologue, le livre de Samraoui s’ouvre sur ce qui est présenté avec force détails comme la préparation en septembre 1995 de la liquidation de Rabah Kébir, le porte-parole de l’instance exécutive du FIS à l’étranger, réfugié en Allemagne après avoir réussi à quitter clandestinement le pays l’été 1992, quelques semaines après avoir été libéré de prison. L’attentat devait viser un autre islamiste algérien également réfugié dans ce pays. Il s’agit d’Abdelkader Sahraoui. Le « coup » est préparé dans un minable hôtel du centre de Bonn où le général Smaïl Lamari avait donné rendez-vous à deux colonels partis d’Alger, choisis pour leur connaissance de l’Allemagne où ils avaient eu à exercer auparavant. Il était demandé à Samraoui d’exécuter le plan, avec pour chacune des deux hypothèses envisagées des hommes de main. Deux Yougoslaves pour l’option règlement de comptes entre factions islamistes rivales. Un Palestinien pour celle d’un crime sans mobile. L’exécution n’aura finalement pas lieu à cause de l’opposition de Samraoui qui a fait valoir sa « conscience » et sa « morale ». L’officier, au grade de lieutenant-colonel comme il se dit, mais qui ne serait que commandant, a ajouté à cette audace un argument politique imparable en mettant en garde ses interlocuteurs contre les conséquences de cet acte sur l’image de l’Algérie. Eh oui, l’Etat algérien qui aurait décidé de
« solder ses comptes » à Rabah Kébir n’était pas capable d’évaluer lui-même ces conséquences ! Les arguments de Samraoui ont vaincu la détermination du général Smaïn qui a pris le risque de se déplacer lui-même en Allemagne Rabah Kébir a eu la vie sauve.
Mais ce n’était malheureusement pas le cas de toutes les autres personnalités liquidées l’une après l’autre par les généraux. On peut citer Mohamed Boudiaf, Kasdi Merbah, Aboubakr Belkaïd et Mohamed Hardi (deux éradicateurs qui en savaient trop), le général Fodhil Saïdi, tué dans un accident de la circulation (mais la technique des accidents de voiture a toujours été pour le DRS un moyen classique d’éliminer les indésirables), Abdelhak Benhamouda, Youcef Fathallah, Djilali Lyabès, Tahar Djaout, Mohamed Boukhobza, Ahmed Hambli, Djillali Belkenchir, Saïd Mekbel, Abdelkader Hachani, le colonel Redouane Sari, le colonel Salah, le général à la retraite Habib Khelil « en possession d’un dossier sur plusieurs affaires de malversations », le chef des garde-côtes, le général Mohamed Boutighane, le chanteur Matoub Lounès. La liste n’est pas close de toutes ces personnalités civiles et militaires liquidées, selon celui qui se présente comme un déserteur, par les généraux.
Le lecteur, soucieux de précisions, restera sur sa faim. Seul l’assassinat de Boudiaf est quelque peu étayé par des arguments que la presse avait largement développés à l’époque. Seule révélation : la grenade utilisée par Boumaârafi n’avait pas été récupérée lors d’une opération terroriste à laquelle il avait participé quelques mois plus tôt au Télemly, comme cela avait été dit alors. Selon Samraoui, Boumaârafi n’avait aucun moyen de se procurer des grenades. Il pense que ce sont les deux engins disparus de son propre bureau qui ont été utilisés. Comme son bureau n’est pas accessible au premier troufion venu, il attribue la responsabilité de cette perte à son patron qui aurait ensuite remis les grenades à Boumaârafi. Sur Fodhil Saïdi, l’auteur n’offre comme argument que la mort de tous ses compagnons lors de l’accident. Pourtant, le chauffeur a bien survécu. C’est un haut commis de l’Etat qui exerce encore ses fonctions. Sur Abdelhak Benhamouda, la seule preuve apportée, ce sont les dernières paroles attribuées au leader syndical par son chauffeur. Benhamouda aurait crié à son chauffeur « khad’ouna », témoignage traduit alors par une agence de presse internationale par « ils nous ont trahis ». Comme on n’est trahi que par les siens, on comprend le sens du cri désespéré. Pourtant, « khad’ouna » peut bien être traduit par « ils nous ont eus » ! La litanie des crimes attribués aux « décideurs » n’est pas close. Il y a aussi tous les massacres de masse, car, affirme Samraoui, « à partir de la mi-96, tous les groupes islamistes autonomes avaient été éliminés soit par l’action des forces spéciales, soit surtout par celles des GIA contrôlés par le DRS ». « A partir de cette date, les seuls groupes qui continuaient à agir au nom de l’islam étaient ceux contrôlés par les services – directement ou par des « émirs » du DRS interposés, comme Djamel Zitouni ou Antar Zouabri », affirme Samraoui dont le livre tombe opportunément au moment de la mise en place d’un mécanisme ad hoc sur le dossier des disparus.
Yacine Kenzy

Yacine Kenzy