Brahim Hasnaoui : « Le logement n’est plus un problème de réalisation en Algérie »

Brahim Hasnaoui : « Le logement n’est plus un problème de réalisation en Algérie »

El Kadi Ihsane, Maghreb Emergent, 09 Janvier 2012

Brahim Hasnaoui n’est pas seulement, avec son groupe éponyme, un des plus grands bâtisseurs de logements au Maghreb. Il réfléchit sur ses métiers. Pour lui, l’heure est arrivée en Algérie de faire le saut de la « qualité dans le vivre ensemble ». La politique de l’habitat actuelle entretient une rareté artificielle. Brahim Hasnaoui propose une réforme en profondeur avec renforcement de la solvabilité des demandeurs, mobilité de la demande, quasi suppression des aides aux promoteurs, et ouverture d’un marché du foncier. Renversement d’optique.

Le point de départ de Brahim Hasnaoui est limpide. La rareté du logement est maintenue artificiellement en Algérie. L’Etat dit vouloir livrer 200 000 logements par an. Il existe 34 000 entreprises de réalisation recensées dans le bâtiment classées de la catégorie 4 à 9, « si nous en mobilisons seulement 20 000 parmi elles, cela correspond à faire 10 logements par entreprise et par an ». A l’aise. Si l’Algérie n’arrive pas à produire ces 200 000 logements an, « ce n’est donc pas la faute aux moyens de réalisation ». La politique actuelle du logement bloque la machine. Elle n’arrive pas, ou ne veut pas, donner assez de plan de charges aux acteurs du secteur. Alors même que la demande de logements reste supérieure à l’offre. Un non sens économique. La réforme Hasnaoui se déploie en trois mouvements. « Il s’agit de réorienter le système des aides vers l’acquéreur, de libérer l’offre du foncier avec accès aux enchères, et de mettre l’APC au cœur du dispositif, côté Etat, c’est elle qui est comptable de son paysage urbain ».

Elever l’aide directe de 700 000 à un million de dinars

L’ambition du PDG du groupe Hasnaoui est de rendre le smicard éligible, tout de suite, à l’acquisition d’un premier logement. Et de permettre la migration de tous vers un habitat de plus grand confort « au fil de la vie », et de l’évolution des revenus. Pour cela il propose la suppression des aides indirectes de l’Etat , en partie captées par les promoteurs, pour les orienter massivement vers le demandeur de logement : « L’Etat a pris la décision de bonifier le crédit immobilier à 1% et 3%. Mais cela n’a pas hissé de manière significative l’accessibilité au logement. Pour cela il faudrait relever l’aide directe actuelle de 700 000 dinars à un million de dinars. Avec un apport en épargne personnelle de 500 000 dinars et un crédit bancaire remboursable sur 25 ans de 500 000 dinars, nous atteignons les 2 millions de dinars » seuil d’entrée dans le LPA (le logement promotionnel aidé). Même un salarié au SMIG, peut, dans ces conditions, obtenir un financement de 500 000 dinars sur 25 ans. A la base de la réforme, la mobilité des demandeurs de logements sur un marché ouvert, d’où sont éliminés les frais de transactions, pesant aujourd’hui jusqu’à 15% dans le logement neuf. Brahim Hasnaoui propose de faire de la décision d’attribution de l’aide direct un document validé chez le notaire au moment de l’acquisition, son détenteur est alors « libre d’acheter ou il veut. Même dans l’ancien ». Le jeune primo-demandeur peut commencer avec un F2 avec son aide, puis migrer plus tard vers un F3 avec plus de financement bancaire, et remettre sur le marché un produit pour autre primo-demandeur avec sa décision d’attribution de l’aide.

« L’APC produit le foncier, c’est à elle de le céder »

Le système actuel fige l’offre de logement. Le système du LPA, délimite les logements à 70 m2 au prix de 40 000 le m2. Même la liste des acquéreurs est arrêtée par l’administration. Il répond de manière univoque à une demande qui est variée. « En fait, il nous tire vers le bas ».Système à choix nul. Au moment même ou l’Algérie, – avec ses revenus actuels, son expérience du bâti hyper dense, et ses grandes crises du mal vivre ensemble – doit entamer le grand virage de la qualité de l’habitat auquel aspirent les citoyens. Brahim Hasnaoui veut introduire la notion de liberté dans le choix du logement. Pour les acquéreurs autant que pour les constructeurs. « Pour cela il faut libérer l’accès au foncier ». Les parcelles à lotir sont négociées au gré à gré aujourd’hui. « Elles doivent être cédées aux enchères. Les promoteurs sauront faire leur calcul avant de faire une offre » car les terrains n’ont pas la même valeur urbanistique. Autre proposition de réforme, c’est l’APC qui doit céder les terrains de son périmètre constructible : « Elle détient le programme de production du foncier. Elle peut le caler sur la pression de la demande. Elle est prés du citoyen. Elle confectionne les cahiers des charges en fonction du type de logement qu’elle veut et libère les parcelles aux enchères ». S’il demeure un petit pourcentage de la demande qui demeure insolvable pour accéder au logement promotionnel, c’est l’APC qui le sait. Elle ajuste en conséquence la taille du programme de logement social. Les revenus produits par la production du logement promotionnel au bénéfice des APC, dans le contexte d’une offre libérée, devrait leur suffire au financement de logements sociaux. Dans la réforme Hasnaoui, le logement social décline dans le budget de l’Etat, pour n’aller qu’aux plus nécessiteux. Le principe est que 95% des ménages puissent acheter à terme leur logement.

« Le logement se garantit lui-même à la banque »

Mais que reste-t-il donc à l’Etat central si le système bureaucratique actuel est démantelé pour libérer la production et l’acquisition de logements ? « L’Etat dispose des outils publics pour réguler le marché ». Les OPGI et les EPLF ont aujourd’hui les moyens financiers pour intervenir partout et rééquilibrer les travers toujours possibles d’un marché du logement et du foncier libéré. A la place d’aides indirectes rarement efficaces, L’Etat devrait surtout veiller à donner suffisamment de plan de charge aux entreprises de réalisation afin qu’elles puissent s’organiser sur le long terme, améliorer l’intégration de leurs métiers et donc le rendement de leur production. Brahim Hasnaoui propose d’alléger la barrière d’entrée y compris dans le logement promotionnel de standing. Les promoteurs devraient être accompagnés par une banque au moment de la soumission pour l’acquisition d’un terrain, et plutôt que de vendre sur plan les logements aux futurs acquéreurs, ce qui est un financement supporté par le demandeur, « ils devraient les inviter à faire placer leur épargne chez leur partenaire bancaire, ce qui sera profitable à tous ». Le promoteur peut alors négocier des prêts à taux avantageux avec sa banque. Et réaliser à moindre frais, au bénéfice de ses clients acquéreurs. La réforme Hasnaoui suggère moins de frilosité aux banques : « Les garanties supplémentaires demandées par les banques aux acquéreurs de logement ne sont pas nécessaires. Le risque est très faible dans le logement pour les banques et les frais liés aux garanties font 5% du coût du crédit. Le produit se garantit lui-même. La limite d’âge, elle-même, devrait être éliminée par les banques pour octroyer un crédit. Vous connaissez beaucoup d’héritiers qui acceptent de rendre à la banque un logement qui a doublé doubler ou tripler de valeur dans l’intervalle ? ». Tout pour consolider la demande solvable. Tout pour tirer l’offre vers le haut. Sa réforme, Brahim Hasnaoui l’a en quelque sorte déjà décliné, à Oran, en projet témoin, dans la plus grande promotion immobilière du Maghreb : Faible densité de bâti, grande variété de logements, individuels, semi collectifs et collectifs, grands parcours de vie commune, intégration tout service, dominance du vert, économie d’énergie avec isolation thermique. La perspective de l’habitat des « années riches » de l’Algérie.

Propos recueillis par El Kadi Ihsane.