Arcelor Mittal Algérie toujours en difficulté

Une année après sa reprise par l’état

Arcelor Mittal Algérie toujours en difficulté

El Watan, 15 septembre 2014

Car, à Annaba ou à ailleurs, d’aucuns étaient loin d’ignorer qu’avant de décider de s’installer en Algérie, en 2001, Lakchmi Mittal, qui fut en mal de liquidité, savait déjà qu’il y allait décrocher le gros lot et que toutes les portes lui étaient grandes ouvertes pour le rejouer, s’indigne notre interlocuteur. Pendant tout temps, syndicalistes, politiques, cadres gestionnaires et d’exécution, organisations professionnelles, économistes, n’ont eu de cesse de crier haut et fort que «génie des affaires» indien a réussi son pari, celui de plonger les algériens au cœur d’une vaste partie de poker menteur où pullulent les non-dits vu l’enchevêtrement des enjeux et des intérêts occultes qui dépassent les frontières.

Arcelor-Mittal avait, et il faut l’admettre, en face de lui des négociateurs algériens aguerris. Mais, en bon visionnaire, connaisseur avéré des rouages du monde de la sidérurgie et fort d’un flair assez prononcé pour déceler les bonnes affaires, «il a réussi à profiter de nos immenses fonds oisifs», reconnaît avec amertume le député, avant d’ajouter : «Même les 51% ne sont pas en mesure de garantir l’intérêt national. Avec le plan de développement industriel, financé en grande partie par nos banques, le partenaire indien sait que l’opportunité lui sera, une nouvelle fois, offerte pour continuer à utiliser l’aubaine algérienne pour sa stratégie internationale, branchée sur des priorités tout autres».

La preuve et elle est toute fraiche: Au lendemain de la signature du nouveau pacte d’actionnaires, en octobre 2013, ArcelorMittal a bénéficié d’un crédit bancaire (BEA) de l’ordre de 350 millions de dollars, mettant en avant le besoins de liquidité pour prémunir l’entreprise d’une ruine financières certaine. Ce crédit, qui était destiné à couvrir les charges jusqu’à 2017, c’est-à-dire pendant les 4 années nécessaires à la mise en œuvre du plan de développement industriel (2014-20017), a été consommé dans sa quasi-totalité, apprend l’ex SG du syndicat d’El Hadjar.

A juin 2014, pas moins de 320 millions de dollars ont déjà été dépensés, précisera t-il. Mieux, ajoutera t-il, les engagements contractuels, il n’en a cure et ce, depuis son implantation en Algérie. Une autre preuve et elle a trait, cette fois-ci, à la recapitalisation : «Lors de la signature du nouveau pacte d’actionnaires, les deux parties ont convenu de l’injection de cash au capital ; 100 millions de dollars pour le Groupe Sider (Etat Algérien) et 56 millions de dollars pour ArcelorMittal. Or, de octobre 2013 à ce jour, ce dernier n’a versé aucun centimes. Du côté algérien, 40 millions de dollars ont, en revanche, déjà été injectés», s’indigne M. Kouadria.

Ayant assurément eu vent de l’intention présidentielle — récupération de la totalité des actifs de la filiale algérienne ArcelorMittal —, poursuit-il, le partenaire étranger a décidé, par résolution adoptée en Conseil d’administration (CA), tenu le 4 septembre, d’injecter 28 sur les 56 millions de dollars. Quoi qu’il soit, aux yeux de nombre d’observateurs interrogés, la volonté au plus haut sommet de l’Etat de renationaliser à 100% l’usine d’El Hadjar risque fortement d’aboutir. Mais la motivation est tout autre : «Lors de l’avant-dernier Conseils des ministres, Bouteflika avait donné son feu vert pour l’exploitation du gaz de schiste. En la matière, notre pays dispose de l’un des plus grands gisements au monde. En réalité, c’est beaucoup plus la filiale des tubes sans soudure (Ampta) que l’Etat cherche à récupérer. Elle a les moyens technologiques, le savoir faire et une main d’œuvre qualifiée pour fabriquer les tubes casing, tous diamètres confondus, de haute qualité. En termes relatifs, le pays serait ainsi, en mesure d’assurer son autonomie, considérant les chantiers et les projets hautement stratégiques attendus de l’exploitation du gaz de schiste dans laquelle le pays s’est résolument engagé, et ce, contre vents et marées».

En attendant, la «saga» ArcelorMittal continue et les milliers de sidérurgistes ont, encore le temps, de savourer le gout amer de cette mélasse algéro-indienne. Autant dire que, conclut avec ironie, Smaïn Kouadria, «dans le plan 2014-2017, on aurait dû penser à mettre en place une cellule psychologique. Elle serait, sans doute plus utile, pour soulager de son anorexie un géant qui refuse, apparemment de recouvrer la pleine forme d’il y a 20 ans et plus».
Naima Benouaret


Une année après sa reprise par l’état

Tentatives de réanimation du haut fourneau n° 2

C’est ce lundi que devraient prendre fin les dernières tentatives de «réanimation» du Haut Fourneau HF N°2 dont la torche a disparu du ciel de la ville d’El Hadjar depuis plus de 60 jours.

Après l’échec de la mission russe, ArcelorMittal Algérie (AMA) a sollicité l’expertise des espagnols dans l’espoir de voir le cœur de l’usine sidérurgique se remettre à battre. A pied d’œuvre depuis leur arrivée, il y a près d’une quinzaine de jours, ces experts espagnols qui ont fait leurs preuves, parvenant à prolonger la vie de plusieurs HF aussi vieux et souffrants que celui d’El Hadjar, ont déployé le très efficace procédé de carottage/injection de gaz naturel à l’intérieur du HF. «Pour permettre la communication à l’intérieur du bloc du HF, ils ont percé un trou de 3,8 m de profondeur au niveau de la fente de coulées. Ils ont par la suite utilisé une lance pour injecter le gaz naturel. En principe, dans les quelques jours à venir, les résultats de l’intervention de l’équipe espagnole seront connus», expliquent des ingénieurs métallurgistes d’El Hadjar ayant assisté les hôtes ibériques.

En attendant, les 5300 travailleurs retiennent toujours leur souffle, le redémarrage de l’unité phare du complexe est plus que vital pour l’entreprise. D’autant que les prolongements des retombées de l’arrêt du HF N°2, ont pris une dimension fort inquiétante, impactant lourdement la production dans les laminoirs à froid et à chaud. Pour tenter de les apaiser, un tant soit peu, ArcelorMittal a opté pour le processing, c’est-à-dire, la transformation des produits semi-finis en produits finis à fortes valeurs ajoutées. Ont ainsi été importées, dans un premier temps, de Pologne 20 000 tonnes de billettes en plus de 30 000 tonnes de brames dont l’arrivage est annoncé pour ce mercredi 17 septembre.

L’objectif majeur étant de couvrir une partie des charges fixes telles que les salaires, loyers, électricité, téléphone… Le déploiement d’un plan de rigueur est l’autre moyen palliatif dont s’est servie la direction générale aux fins de rationnaliser les dépenses. Il en est ainsi de la mise en congé payé de milliers de travailleurs : «De juillet à août derniers, pas moins de 60 000 jours de congé ont été consommés par les salariés de l’entreprise avec une moyenne de 13 jours/ travailleur. La mesure a touché l’ensemble des effectifs (quelque 5300 personnes)», a-t-on appris auprès de sources syndicales.

Aussi, il a été décidé de la réduction de 1/3 les capacités de transport du personnel, via des jumelages (transports groupés). ArcelorMittal a, par ailleurs, renoncé à toutes activités de sous-traitance, laquelle pèse plus de 30% des dépenses de l’entreprise. Toujours dans le cadre du plan d’austérité, la direction générale a procédé au transfert d’une partie des effectifs de la production du cycle posté au cycle normal et ce, en vue de réduire les charges liées aux primes de poste. Cette cure d’amaigrissement que subit, pour la énième fois, le géant national de l’acier parviendra-t-elle à apaiser la crise, sans précédent, dans laquelle il sombre depuis des mois, voire des années.

En témoigne : à fin août, l’usine d’El Hadjar a réalisé une production d’à peine 200 000 tonnes de produits sidérurgiques sur le un million de tonnes, objectif arrêté pour l’exercice 2014. Quelques années auparavant, l’entreprise réalisait, à la même période, entre 580 000 et 600 000 tonnes. Ses parts de marché domestique qui se montaient à 20 et 30% ont sensiblement baissé, moins de 10%. Idem pour les exportations qui sont quasi nulles. Le chiffre d’affaires s’en retrouve amputé de près de 70% par rapport à 2012. En termes d’emplois, la situation n’est pas moins dramatique : aucun nouveau recrutement n’a été enregistré depuis ces trois dernières années, assurent nos sources syndicales. Pis, l’entreprise est dans l’incapacité de remplacer les travailleurs partis à la retraite, au moins 50 départs/mois.

Le prix de vente de ferphos en hausse

Lorsque l’Etat a officiellement repris, le 5 octobre 2013, le contrôle de l’entreprise conformément à la formule 51/49 prévu dans l’article 76 de la Loi de finances complémentaire (LFC) de 2009, y était également incluses les deux mines de Boukhadra et de Ouenza, soit ArcelorMittal Tébessa. Si pour l’usine d’El Hadjar tout a été finalisé au plan juridique, notarial et administratif, ArcelorMittal Tébessa, demeure, quant à elle, à ce jour sous le contrôle, comme par le passé, du Groupe indien ArcelorMittal à hauteur de 70% et de Ferphos Group à 30%.

Autrement dit, les statuts d’ArcelorMittal Tébessa sont restés tels quels. A cela une raison : un sérieux différend algéro-algérien, déplore le député Smain Kouadria. Ferphos Group espérait, toujours selon lui, à ce que les 21 % de parts cédés par le partenaire étranger lui soient accordés par l’Etat, vu que le Groupe de fer et phosphates détenait déjà 30% du capital d’ArcelorMittal Tébessa. La nouvelle reconfiguration du capital ; 49% revenant à ArcelorMittal, 21 % au Groupe public Sider et 30% à Ferphos, ne semble être du gout de cette dernière, explique l’ex patron du syndicat d’ArcelorMittal Annaba.

«Dans l’impossibilité de s’opposer ou de rejeter une décision émanant du plus haut sommet de l’Etat, Ferphos Group n’a pas trouvé mieux que de décider de revoir à la hausse ses prix de vente du minerai de fer. De 30 dollars, le prix de revient à la tonne livrée au complexe sidérurgique risque de passer au double. D’intenses pourparlers à ce sujet sont actuellement en cours entre les trois partenaires», indique Smaïn Kouadria qui se demande si ce différend n’avait pas pour véritable origine ce qui s’apparente à un conflit d’intérêts, né de l’émigration de la filière des mines, il y plus d’un an, du ministère de l’Energie vers celui de l’Industrie.
Naima Benouaret


Une enquête d’arte dévoile les secrets du groupe

L’«empire» Mittal ou le «capitalisme féodal» du magnat de l’acier

«Mittal, la face cachée de l’empire», est une enquête implacable sur «l’ennemi social n° 1» de la sidérurgie mondiale.

Le principe de l’Indien Lashkmi Mittal est simple : acheter, mais ne pas investir dans les sociétés conquises, en tirer tout le bénéfice possible, au prix d’une gestion radine, de cadences soutenues et de réduction de personnel ou de moyens. C’est ainsi que le groupe Mittal est devenu le n°1 mondial de l’acier à partir du métier initial de ferrailleur en Inde. La chaîne franco-allemande Arte proposera, mardi 16 septembre à 19h50 (Heure DZ), un documentaire réalisé par Jérôme Fritel* sur cette ascension irrésistible.

C’est à présent un empire qui a ses racines dans 60 pays et emploie 250 000 personnes. Issu d’une famille modeste de Calcutta, Lashkmi Mittal est devenu, en l’espace de quinze ans, l’un des hommes les plus riches au monde. Dans le documentaire que nous avons pu voir en avant-première, on découvre comment à partir de son Inde natale, Mittal a d’abord investi au Tadjikistan, à la faveur de la fin du bloc communiste et de l’ouverture au libéralisme économique.

L’entreprise tadjike, alors dans une mauvaise passe, ne sera pas redressée mais exploitée en l’état, sans aucun apport de modernisation. Même pas dans les mines où plusieurs accidents ont causé la mort de dizaines de personnes faute d’équipements adaptés. 15 000 euros par famille endeuillée, tel a été le geste de Mittal, pour des ouvriers qui en regrettent l’ancien régime… Pourtant, au départ, Mittal incarnait un symbole. Celui des mérites du nouveau capitalisme, libéral et mondialisé, après la défaite historique du bloc soviéto-socialiste. Il représentait la revanche du monde émergent sur les nations industrialisées.

A tel point que les dirigeants occidentaux le recevaient avec tous les égards. Les images restent, comme celles de Jacques Chirac, ou Nicolas Sarkozy qui l’adoubent, avant de l’éviter. En effet, pour ce qui est du cas français et européen, accueilli comme un sauveur en 2006, à la faveur son offre publique d’achat (OPA) sur le groupe Arcelor, Mittal est aujourd’hui perçu comme le fossoyeur de la sidérurgie européenne.

Le film cite Michel Liebgott, député PS de Moselle, à propos de la fermeture des hauts fourneaux de Florange et de Liège (Belgique) : «Mais, en réalité, c’était plus subtil que ça. Il avait décidé de les faire tourner à 100% alors que même les gens d’Arcelor les faisaient tourner à 70-80% et quand vous prenez votre voiture et que vous roulez à 100% sans jamais, effectivement, la laisser récupérer, vous la faites crever.

En quelque sorte, c’est ce qu’il a fait. Il a fait crever les hauts fourneaux finalement mais il les a utilisés jusqu’au bout.» Atteint de plein fouet par la crise économique, la multinationale Mittal, criblée de dettes, et qui n’a jamais investi dans le développement technologique, source de valeur, accumule les pertes, notamment en bourse et ferme ses usines les unes après les autres en Europe et dans le monde, où fait de la compression sociale. Non pas qu’on a plus besoin d’acier, mais monstre hybride coincé entre industrie et finances, le groupe Mittal ne supporte pas que ces bonus soient atteints. Il préfère liquider que perdre.

Mittal privilégie l’exploitation des richesses au détriment de l’intérêt collectif

C’est ce qu’aborde le documentaire, avec force éléments probants. Il suffit ainsi d’écouter l’ancien syndicaliste Edouard Martin, ancien syndicaliste CFDT de Florange (Moselle), aujourd’hui député européen qui parle de «capitalisme féodal. C’est une famille, le père, le fils, la fille, qui décide de tout, pour tout, tout le temps. Ils ont fermé plus d’une dizaine de sites, pourquoi ? Pas suffisamment rentable, pas rentable, pas suffisamment rentable! Je rappelle, n’oubliez jamais, ayez toujours en perspective, les dix-neuf milliard d’euros de bénéfices. Liège et Florange ont aussi contribué à gonfler ce bénéfice». Un autre intervenant parle de «génocide social».

Pour Rémi Boyer, ex-secrétaire général de la direction Arcelor Mittal, qui connait la maison. «Les Mittal considéraient l’Europe comme un terrain de jeu supplémentaire. Donc, ils activaient, au gré des besoins, les différents interlocuteurs, gouvernements, commission européenne, en fonction de leurs intérêts stratégiques. C’était finalement au plus offrant qu’ils s’en remettraient in fine.»

Si le monde entier succombe aux sirènes de cet homme, qu’en est-il du cas algérien, hélas non traité dans le documentaire ? En 2001, Mittal, dont l’entreprise ne portait pas encore ce nom, a lancé son numéro de charme pour acheter le groupe Sider. Là encore, dans le cadre de la déréglementation économique vue ici comme au niveau mondial comme la panacée, la privatisation s’est révélée, comme le documentaire le montre, le visage «d’un modèle économique obsédé par la rentabilité à court terme, qui privilégie l’exploitation des richesses au profit des seuls actionnaires, au détriment de l’intérêt collectif».

L’enquête dévoile à ce titre « quelques secrets d’un système, largement inspiré par les méthodes de la finance, qui relève plus du « Monopoly » que du capitalisme industriel », expliquent l’auteur du film. Ainsi, entre 2006 et 2014, Arcelor Mittal a versé au total 19 milliards d’euros de dividendes à ses actionnaires, la famille Mittal empochant 40% de cette somme…

* Mardi soir sur Arte à 19h50. Jérôme Fritel, journaliste réalisateur, sera l’invité en deuxième partie de soirée. Son documentaire «Goldman Sachs, la banque qui dirige le monde», a eu un écho retentissant.
Walid Mebarek