Bensaïd expulsé de la cour d’assises

Au procès des attentats de 1995 :
« Monsieur Bensaïd, je voudrais que vous me disiez pourquoi ma fille est morte »

Pascale Robert-Diard, Le Monde, 17 octobre 2002

Les proches des personnes décédées dans l’attentat à la station de RER Saint-Michel sont venus mardi exprimer leur douleur. Les rescapés ont raconté leur impossibilité à vivre normalement depuis l’explosion.

La douleur n’explose pas. Elle s’impose. Celle des victimes de l’attentat de Saint-Michel est entrée, mardi 15 octobre, par mille et un chemins dans la salle de la cour d’assises spéciale qui juge depuis trois semaines Boualem Bensaïd et Smaïn Aït Ali Belkacem. Elle a raviné les visages, brisé les voix, suspendu les souffles, cherché et trouvé ses mots. Ceux d’une mère, Annick Brocheriou. « Je porte la montre qu’elle portait ce jour-là. Véro est morte, mais sa montre continue de fonctionner. Ça fait sept ans. Il y a des gens ici qui sont amnésiques. Moi, je n’ai rien oublié. Ma fille, je crois qu’elle a croisé M. Bensaïd et ses amis à Châtelet. Elle s’est assise sur un siège. Dessous, il y avait une bombe. Vous avez son âge. Regardez-moi en face, je voudrais que vous me disiez aujourd’hui pourquoi elle est morte. » Ceux d’un fils, Marc Aupaix : « Ma mère était très coquette. Elle a été atrocement mutilée. Elle a perdu ses jambes, elle a été brûlée sur tout le corps, elle avait un trou dans le dos. Elle est morte le lendemain, à 13 h 30. Monsieur Bensaïd, monsieur Belkacem, il n’y a pas de gloire ni d’honneur à mettre une bombe et à se sauver en courant avant qu’elle n’explose. » Ceux d’une sœur, Nadège Girier-Dufournier : « Sandrine avait 24 ans. Elle n’a jamais fait de mal à personne. Elle faisait des études de stylisme. Elle achetait des plumes pour faire des costumes pendant que d’autres achetaient de la poudre noire. Il a fallu qu’elle rencontre ces personnes qui se disent combattants, combattants de je ne sais pas quoi. » Ceux d’un père, Roland Froment : « Pierre-Henri est né en 1960. Il a vécu quatre mois de souffrance entre le 25 juillet et le 21 novembre où il est décédé. Il était polytraumatisé, blasté, brûlé sur toute une partie du corps. On l’a greffé. Il a regagné son foyer fin août et, brusquement, son état s’est aggravé. Des séquelles neurologiques ont entraîné une paralysie des membres inférieurs. Il a été transféré à Garches. Il se battait tous les jours. Puis il a eu une méningite foudroyante, son coma a duré huit jours. Sa deuxième petite fille, Elisabeth, est née le jour de ses obsèques. Vous êtes croyant, vous savez qu’il y a un Jugement dernier, une justice divine. Pensez-vous que, ce jour-là, on puisse se présenter devant Dieu avec sur les mains le sang des victimes innocentes ? »

La douleur a sa hiérarchie. Après les familles endeuillées, les blessés ont peiné à dire leurs maux. Devant la cour, ils ont raconté la vie juste avant ce 25 juillet, 17 h 30, avec ses rituels et ses hasards : « Je sortais de mon bureau, je suis montée dans le RER à Châtelet. J’avais trouvé une place assise, j’étais en train de lire un livre » ; « Comme tous les soirs, j’ai pris le RER pour rentrer chez moi à Bourg-la-Reine » ; « Je revenais d’une promenade très agréable sur les canaux parisiens »; « J’allais voir mon père en banlieue, je montais toujours dans la même rame » ; « Dans la famille, on avait l’habitude de se mettre devant la porte du RER ».

Depuis ce jour, vivants dehors, tout cassés dedans, ils ont dû apprendre à vivre avec leur mal-être, avec ces irrépressibles bouffées d’angoisse qui empêchent bon nombre d’entre eux de reprendre le métro ou de sortir le soir, ces sautes d’humeur qui, peu à peu, éloignent famille et amis, ces troubles de la concentration ou de la mémoire qui indisposent les employeurs. « Je ne suis jamais dans le silence, je suis rescapée mais meurtrie »; « J’ai repris mon travail, j’ai fait comme avant, sauf qu’à l’intérieur c’est plus pareil »; « Quand j’ai voulu reprendre le métro, j’ai fait dans mon froc plusieurs fois »; « Je devais passer cadre mais, à cause de mes arrêts de travail successifs, je ne le suis toujours pas et je ne le serai jamais »; « J’ai gâché la vie de mes enfants, ils reviennent très peu à Paris, j’étais tellement soupe au lait ». Beaucoup s’en veulent « d’avoir eu de la chance », comme Barbara, secrétaire de 35 ans. Ou comme Caroline, chef monteuse de 28 ans, frêle et blême silhouette, qui a mis du temps à comprendre qu' »il ne fallait pas forcément avoir saigné pour être blessée ».

La douleur a-t-elle une vertu ? Le président de la cour d’assises, Jean-Pierre Getti, semble l’avoir un temps espéré. Tourné vers le box, il s’adresse à Boualem Bensaïd : « C’est le grand jour, Monsieur Bensaïd, celui de la confrontation entre des accusés et des victimes. Il serait peut-être temps d’assumer vos responsabilités. Les victimes sollicitent une réponse de votre part. Est-ce qu’aujourd’hui vous cautionnez, approuvez les actes qui ont été commis ? »L’accusé fronce les sourcils, semble hésiter, secoue la tête. « Comment avez-vous pu concevoir cette question ? », réplique-t-il. « Rasseyez-vous ! », lui ordonne, ulcéré, le président.

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Bensaïd expulsé de la cour d’assises

Par Patricia Tourancheau, Libération, 17 octobre 2002

Boualem Bensaïd a été expulsé hier durant dix minutes de la cour d’assises spéciale de Paris par le président Jean-Pierre Getti à cause d’une phrase déplacée. Une jeune femme, grièvement atteinte dans l’explosion du RER à Saint-Michel le 25 juillet 1995 (8 morts, 183 blessés), venait de demander à l’accusé principal : « Quelles sont les valeurs que vous défendez en tant que musulman ? » « Allez dans une mosquée, ils vous expliqueront », lui a lancé Bensaïd. La femme a insisté : « Mais vous, vos valeurs à vous ? » L’accusé a encore biaisé : « Je suis musulman. » Le président est intervenu : « C’est quoi tout ça, monsieur Bensaïd ? » « C’est la suite d’une guerre (en Algérie) de 250 000 morts qui ne peuvent pas venir pleurer ici », a rétorqué l’accusé sur un ton très agressif, provoquant son expulsion.

Attentats de 95:
Boualem Bensaïd à nouveau expulsé de la cour

17 octobre 2002

PARIS (Reuters) – Boualem Bensaïd, un Algérien de 34 ans jugé depuis le 1er octobre pour les attentats islamistes de 1995, a été expulsé jeudi de la cour d’assises spéciale de Paris pour la seconde journée consécutive en raison de propos jugés blessants pour les victimes.
A la douzième audience du procès, la mère d’une jeune femme tuée dans l’attentat de Saint-Michel, qui a fait huit morts et 150 blessés le 25 juillet 1995, a interpellé l’accusé à la barre en dénonçant sa « lâcheté ».

« Pourquoi cette enfant ? », lui a demandé en pleurant Nadège Girier-Dufournier, en parlant de sa fille Sandrine, 26 ans.

« Nous aussi, les militaires, ils nous ont tiré dessus », a répliqué Boualem Bensaïd.

« Je sais que je n’aurai pas d’autres réponses, ce sont des gens lâches », a alors commenté Nadège Girier-Dufournier.

« C’est réciproque. C’est lâche de tuer des civils partout dans le monde. A Paris le 17 octobre (1961), il y a des Algériens qui ont été noyés », a répondu l’accusé.

L’avocat général Gino Necchi s’est alors levé pour demander à l’accusé de « retirer cette parole immédiatement ». Boualem Bensaïd a refusé et le président Jean-Pierre Getti lui a demandé de sortir dans les couloirs menant au dépôt, où l’escorte l’a immédiatement conduit.

Jeudi, l’accusé y avait déjà passé une vingtaine de minutes après avoir déclaré à une autre victime de l’attentat lui demandant des explications sur les motifs des attentats de 1995: « C’est la suite d’une guerre en Algérie avec 250.000 morts qui ne peuvent pas venir pleurer ici. »

Depuis mercredi, la cour procède aux auditions des personnes blessées dans l’attentat de Saint-Michel et des familles des huit personnes décédées.

Une dizaine de personnes souffrent d’infirmités et de mutilations permanentes. Les autres font état de troubles psychologiques toujours vivaces sept ans après l’attentat, tels que de fréquentes crises de panique, des dépressions nerveuses et la phobie des transports en commun.

Le procès se poursuit lundi puis jusqu’au 30 octobre.

Boualem Bensaïd a reconnu avoir été militant du GIA (Groupe islamique armé) qui a revendiqué les attentats mais il affirme ne pas avoir posé la bombe de Saint-Michel, attentat pour lequel il est le seul accusé.